Viviane Schaller : «Les tests sanguins pour la maladie de Lyme ne sont pas fiables»
Priscille Tremblais - Jeudi 02 Juillet 2015
(Article provenant du site La Nutrition.fr du 1er juillet 2015)
Pour savoir si on est infecté par la maladie de Lyme - transmise par les tiques, on fait un test ELISA. Mais attention, il n'est pas fiable, prévient la biologiste Viviane Schaller (Strasbourg). Parce qu'elle utilisait des tests plus sensibles mais non homologués, l’administration a fait fermer son laboratoire. Elle riposte avecun livre-chocqui retrace la cabale dont elle a été l’objet, dénonce le sous-diagnostic de la maladie, le mépris des malades, et propose des pistes concrètes pour mieux diagnostiquer et prendre en charge Lyme. Dans cet entretien, elle revient sur son rôle de lanceuse d’alerte et sur la faillite des tests.
Viviane Schaller: En cas de premier contact, dans un quart des cas on observe un érythème dit migrant qui permet d'établir le diagnostic de manière certaine. S'il n'y a pas d'érythème, le médecin peut prescrire un test appelé ELISA qui ne fournit une réponse fiable que dans 30% des cas seulement.
Il y a plusieurs raisons à cela, la première c'est que les anticorps recherchés par le test n'apparaissent que tardivement, au bout de 2-3 semaines (alors que le test est pratiqué avant). Par ailleurs, alors qu'il existe 15 variétés de bactéries (ou borrélies) en Europe, elles ne sont pas toutes incluses dans ELISA, il est d'ailleurs impossible de les inclure toutes. Autre explication : le seuil de positivité du test est choisi par le fabricant en fonction d'un dogme selon lequel la maladie de Lyme serait une maladie rare qui n'atteint pas plus de 5 % de la population. Comme ce taux est désormais caduque, le seuil choisi est beaucoup trop élevé.
Si le test ELISA est négatif, le médecin conclura qu'il n'y a pas de maladie de Lyme. Il existe un consensus des autorités de santé qui interdit de faire un test de contrôle, le Western-Blot, si l'ELISA est négatif ; s'il est douteux ou positif, en revanche, on réalise un Western-Blot. Pourtant, pour d'autres maladies, comme le SIDA par exemple, il existe des tests de contrôle systématiques. Aujourd'hui un médecin peut prescrire un Western-Blot en cas d'ELISA négatif mais ce deuxième test ne sera alors pas remboursé. Mais imaginons qu'un Western-Blot soit réalisé : les résultats de ce test vont varier énormément d'un laboratoire à l'autre, car ils dépendent de l'interprétation du biologiste. Or les biologistes en France sont souvent sous-informés sur Lyme. J'ai personnellement vu des Western-Blot qui montraient la présence d'anticorps de Lyme mais pour lesquels les biologistes avaient pourtant conclu qu'il n'y avait pas de maladie de Lyme.
Le Western-Blot est un test plus sensible que le test ELISA. C'est bien pour cela que je l'ai utilisé pendant 6 ans, ce qui m'a été reproché par la sécurité sociale. Il est cependant faillible car en cas de prise de corticoïdes ou d'antibiotiques, ou si la personne est immunodéprimée par exemple lorsque la maladie a pris une forme chronique, il n'y a pas assez d'anticorps dans le sang pour être détectés.
Après le consensus de 2006 des autorités de santé concernant le diagnostic de Lyme, médecins, patients et la biologiste que je suis avons commencé à nous regrouper et nous réunir, en Alsace. Notre groupe de travail a conclu à la nécessité d'un Western-Blot systématique, car ce test était, de l'avis de tous, plus sensible et plus spécifique. La médiatisation de la fermeture de mon laboratoire a aussi aidé à faire progresser les choses puisqu'en septembre 2012, le Pr Christian Perronne (Président de la Commission des Maladies Transmissibles au Haut conseil de la Santé publique) participait au ministère de la Santé à l'élaboration d'un rapport publié en décembre 2014 par le Haut conseil de santé publique. Ce rapport indiquait qu'il existe un défaut de sensibilité des tests ELISA, pointait le seuil de positivité aléatoire de ce test, notait qu'il existe un problème de spécificité des bactéries recherchées, mais aussi que les tests directs représentaient une avancée possible. Tout récemment, le 24 juin 2015, il y a eu une audience au ministère de la Santé, avec les associations de malades. Au cours de cette audience, les autorités de santé (Direction générale de la santé, Agence du médicament, Haut conseil de santé publique, Institut de veille sanitaire) ont demandé la réévaluation des tests. Les lignes bougent et le consensus de 2006 est en passe de tomber dans les oubliettes.
Mon but premier a toujours été de soulager les gens. Les prétendues manœuvres frauduleuses ont été inventées par mes détracteurs pour briser cet élan. Concrètement, ils me reprochent de m'opposer au consensus de 2006 qui veut qu'en cas de test ELISA négatif, on en reste là. Selon moi, je n'ai pas renié ce consensus car il stipule qu'en cas de test ELISA douteux, il faut réaliser un Western-Blot. Or le test ELISA n'étant pas fiable, son résultat est forcément douteux. Par ailleurs, selon le guide des bonnes pratiques en vigueur pour les biologistes, un biologiste a le droit de modifier un protocole ou un test selon les particularités de la population qui se fait tester ou en fonction de l'avancée de la recherche scientifique. Je n'ai donc pas enfreint les règles.
Pour moi, un résultat fiable était un dû pour les patients. Le test ELISA ne l'étant pas, il fallait ajouter le Western-Blot et ils n'avaient pas à payer en plus pour cela. Il faut savoir que lorsque mon laboratoire a été menacé de fermeture, j'ai décidé en accord avec les médecins, de faire payer aux patients le Western-Blot en cas d'ELISA négatif. Ce qui n'a rencontré d'ailleurs aucune difficulté. Mais cela n'a pas calmé mes détracteurs. Ce dont ils m'accusent c'est d'avoir donné 80% de faux positifs, sans pour autant avoir jamais voulu discuter avec moi de mon protocole. Je n'ai pas fait ces Western-Blot pour m'enrichir, à moins que l'on considère la fermeture de mon laboratoire et l'impossibilité d'exercer un métier qui me passionne comme des signes extérieurs de richesse !
Si je prends le cas de maladies de Lyme qui miment les symptômes de la polyarthrite rhumatoïde, un phénomène en croissance et qui est bien démontré aujourd'hui, quelqu'un qui serait diagnostiqué pour une polyarthrite et non pas soigné pour la maladie de Lyme qui se cache derrière, coûte entre 20 000 et 40 000 euros par an à la Sécurité sociale, sans compter les hospitalisations et les arrêts de travail. Cela représente un coût considérable pour la société. Si on prend en compte d'autres maladies chroniques qui cachent une maladie de Lyme comme la sclérose en plaques (un lien moins étayé que pour la polyarthrite mais on parvient à faire la différence aujourd'hui entre une sclérose en plaques dues à Lyme et une sclérose en plaques non liée à Lyme), on arrive à plusieurs milliards d'euros.
Aujourd'hui, à ma connaissance, il n'y a pas de laboratoire en France qui propose des tests comme ceux que je pratiquais. Les malades qui en ont les moyens peuvent s'adresser à des laboratoires allemands. La seule chance pour que les laboratoires français changent leur méthode de diagnostic sans craindre d'être fermés comme le mien, c'est que les choses évoluent au niveau officiel. Et alors on pourra faire des économies considérables sur la santé des gens et les finances publiques. Aux Etats-Unis et au Canada, cela bouge même si partout dans le monde il existe de grandes résistances pour faire évoluer le diagnostic de Lyme, la France faisant figure de moins bonne élève à ce sujet. Mais les figures de proue du ministère seront obligées selon moi de changer de cap dans les mois qui viennent. Cela urge, cela fait maintenant trois ans que les malades attendent et qu'on les méprise.
Pour en savoir plus sur les principes et l'interprétation des tests, les symptômes et le diagnostic de la maladie et "l'affaire Schaller", lire : "Maladie de Lyme, l'épidémie qu'on vous cache".
*Le procès en appel de Viviane Schaller aura lieu entre janvier et juin 2016 au tribunal de Colmar (Haut-Rhin).